L'amour : changeant dans la perception, intact dans la substance...

Voyage philosophique dans le sentiment le moins original et le plus envahissant de l'univers, fruit sans innovation des mêmes merveilleuses erreurs

Amour : le monument funéraire des « Amoureux de Teruel »
Le monument funéraire des soi-disant "Amants de Teruel", unis jusque dans la mort et dont les mains de marbre se touchent

Parmi les choses apparemment immuables et d'autres, évidemment sujettes aux changements et aux innovations, il y en a qui paraissent changeantes dans la perception, mais qui, en fait, restent intactes dans leur substance.

Pour mieux dire, certains phénomènes subissent des innovations épistémologiques, conservant leur essence, l'Eidon platonicien.

Ainsi, dans cette rubrique consacrée, en un certain sens, à philosophie de l'innovation et dans ce magazine en ligne, qui a fait de l'innovation son stigmate, j'aimerais vous parler de l'amour : la chose la moins originale et la plus envahissante de l'univers.

Et, pour commencer, il faut distinguer immédiatement les trois manifestations phénoménales de l'amour : l'amour vécu, l'amour raconté et l'amour observé.

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Amour : le « Mur de l'Amour » à Montmartre
Le "Mur de l'Amour" à Montmartre dans la ville de Paris : la phrase "Je t'aime" est rapportée dans 250 langues différentes, aboutissant en 2000 à une oeuvre du calligraphe Fédéric Baron et de l'artiste Claire Kito

L'amour raconté entre autobiographie et invention

Commençons par l'histoire d'amour, car c'est celle qui fait le plus l'objet d'innovations et donc la plus proche, pour ainsi dire, de notre ligne éditoriale.

L'amour raconté, machiavélique, se divise, tour à tour, en autobiographie et en invention.

Le premier a souvent le caractère d'exutoire ou de regret : plus rarement, de vengeance ou d'action de grâce.

La narration autobiographique de l'amour, à la fois par un personnage intermédiaire et directement inspirée de ses propres événements, indique presque toujours un discours interrompu au milieu : un amour qui n'est pas pleinement satisfait.

Au fond, le plus souvent, on ne raconte pas une histoire d'amour, mais plutôt son échec, en cherchant les raisons, les failles ou les fatalités.

En bref, « … en chantant, le duo s'éclaircit ».

Plus rarement, la fiction est dédiée à l'amour réussi : elle devient célébration et monumentalisation de l'être aimé.

Dans l'invention, au contraire, ce sont surtout les aspirations amoureuses qui trouvent place : on a souvent tendance à raconter une histoire d'amour comme il faut ou ne doit pas être, plutôt que comme elle est et comme elle n'est pas.

Au fond, c'est une sorte de grand rêve, où, pour une fois, les choses se passent au gré de la divinité omnisciente, c'est-à-dire de l'écrivain, et non selon les éventualités alambiquées du destin.

Le roman ou la romance représente alors un acte créatif puissant : une tentative, du moins dans l'art, d'empêcher que les choses tournent mal.

Et ici même, dans ce domaine vaste et complexe, l'innovation a régné en maître : la jalousie de Médée et celle d'Othello, la beauté d'Elena et celle de Clorinde, ont marqué les époques, les costumes, les coiffures, les crimes, en passant par les des siècles.

Bien sûr, aujourd'hui, les tenues de télévision ou les photos à la télévision ont une plus grande influence sur le sentiment commun Instagram: le raisonnement, cependant, ne change pas.

L'amour se renouvelle et innove dans ses aspects formels, restant fidèle à lui-même dans les aspects substantiels : il est conservateur dans son âme, mais s'habille à la dernière mode.

Confusion et contrôle au temps de l'Intelligence Artificielle

Amour: "Große Heidelberger Liederhandschrift"
Une image de l'amour sur le "Codex Manesse" ou "Code Manessian", également connu sous le nom de "Große Heidelberger Liederhandschrift", qui est le recueil de chansons médiévales le plus riche et le plus célèbre en langue allemande

L'"amour" observé dans le sillage du bonheur des autres

On en vient alors à l'amour observé : à l'amour des autres, qui peut généralement susciter admiration et envie, curiosité et émulation.

L'amour observé est, paradoxalement, plus complet que celui vécu à la première personne : l'observateur extérieur, tant qu'il est fin et connaisseur des choses du monde, lit entre les lignes ce que l'amant ne peut ou ne veut voir.

Il reconnaît les symptômes de la trahison ou de la décadence : il est le premier à lire, dans le simple éclair d'un regard, l'évolution des événements.

Et, s'il a connu des expériences similaires, il imagine, conseille, prévoit.

L'observateur, qu'il soit neutre ou non, a une perception plus objective de l'amour tel qu'il se déroule : il regarde presque avec compassion le bonheur des autres, sachant pertinemment à quel point cet état est éphémère et fragile.

Bref, l'amour observé est auréolé de scepticisme, d'une tendance réaliste au pessimisme, tout autant que l'amour vécu est rempli d'illusions merveilleuses et de déceptions féroces.

Un observateur ne peut pas être trompé, car c'est lui qui n'est pas trompé dès le départ : « Oïda ! », semble-t-il dire, "Je sais!".

Certes, il paraît plus solidement ancré que le pauvre amant, à la merci de ses propres sentiments aveuglants : mais il vit moins.

La récompense en termes d'intensité : l'amour observé sent le regret d'une vie jamais eue ou perdue, dans laquelle la seule défense est la solitude.

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Amour : "Siège du Château de l'Amour"
Verso de la sculpture relief "Siège du Château d'Amour" datant du XIVe siècle et conservée au Musée du Louvre

C'est toujours l'amour vécu le seul dans la chair

Et enfin, nous arrivons à l'amour vécu : l'amour, pour ainsi dire, dans la chair.

Il est impossible de dire comment il naît et comment il meurt : c'est une somme de désirs et d'espoirs, de chimères et d'attentes, qui nous fait décider de remettre notre existence entre les mains d'un autre.

Parfois elle explose comme le printemps quand elle arrive : c'est un puissant jet de gemmes, un hymne à la vie.

D'autres fois, il grandit lentement, simulant d'abord d'autres formes, jusqu'à ce qu'il se révèle.

Dans tous les cas, l'amour vécu est toujours le même : les contextes changent énormément, mais l'amour reste ce qu'il est.

C'est un sentiment catastématique.

Comme nous l'avons dit, il est à la fois toujours nouveau et toujours le même.

Ce qu'il faudrait peut-être dire en guise de commentaire, c'est que l'amour se nourrit de malentendus : on pourrait dire qu'il est lui-même un malentendu énorme, merveilleux.

Pour éclater et s'épanouir, il lui faut un formidable acte de volonté entre deux personnes qui établissent leur affinité mutuelle : ce qui, presque toujours, n'est pas le cas.

Presque toujours, on donne un visage à ses désirs et ce visage, comme dans une recherche somatique policière, correspond au visage aimé selon des pourcentages.

Vous n'avez jamais la certitude de réussir : en effet, on pourrait dire que c'est exactement le contraire qui est vrai.

Pourtant on essaie, parce que la solitude est une vilaine bête : parce qu'au fond, on est fait pour aimer.

Et nous répétons, depuis la nuit des temps, avec l'évolution des temps et de l'histoire, toujours les mêmes merveilleuses erreurs : sans la moindre innovation, cette fois.

Peut-être y avait-il…

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Amour : "Elsa et Lohengrin" de Gaston Bussière
Le tableau "Elsa et Lohengrin" de Gaston Bussière datant de 1910